"Quand on retrouve Patrick Bruel dans son hôtel bruxellois, il ne tient pas la grande forme. Une mauvaise chute l'oblige à se bourrer de médicaments et à porter une large ceinture de soutien dorsal. Moralement, il tient néanmoins à défendre son dernier-né.
Il a fallu le temps pour digérer le succès imprévu d'« Entre-Deux »
C'était une parenthèse au départ. 2.800.000 albums plus tard, on se dit : il s'est passé quelque chose. Sur scène, j'ai eu la réponse, avec des gamines de 3 ans portant la casquette, des mamies. Les gens avaient besoin de ça à ce moment-là.
N'avez-vous pas eu peur d'être englouti par cette image un peu vieille France, Yves Montand ?
Non car j'avais clairement dit que c'était une parenthèse et que je la traitais total look, avec un personnage. Puis j'étais très fier de me balader avec ces chansons. Mais après avoir trimbalé 23 chefs-d'oeuvre pendant deux ans, ce n'était pas facile de revenir à la création. Mes musiques étaient prêtes mais je n'arrivais pas à écrire.
Pourquoi ne pas avoir fait à nouveau confiance à d'autres, comme Gérard Presgurvic ?
C'était trop personnel pour faire appel à quelqu'un d'autre. La seule personne qui pouvait entrer dans le truc, c'était Amanda, ma femme. Parce que c'est avant tout un grand auteur. C'est elle qui a débloqué la situation. Elle a pris une de mes musiques et a commencé le texte en me demandant de le terminer. C'était « Je fais semblant ». C'était incroyable de voir quelqu'un, qui me connaît depuis si peu de temps, à même d'évoquer mes souvenirs d'enfance et d'adolescence. J'ai donc fini la chanson et la nuit qui a suivi, j'ai écrit « Adieu » qui était la chanson indispensable pour moi. Le reste est né de là.
« Adieu » est une chanson engagée, parlant d'attentats à Madrid, Netanya et New York.
Je ne voulais pas parler que du terrorisme musulman mais je n'en ai pas trouvé d'autres actuellement.
Ne serait-il pas temps qu'on se pose certaines questions, en s'attaquant aux raisons poussant un fou de dieu à commettre un acte aussi abject et irrationnel ?
Tout le monde s'en pose des questions mais je ne crois pas que le débat est là. La chanson exprime comment moi j'ai violemment ressenti ça. Je pense qu'il n'y a pas de solution. Sinon qu'ils arrêtent de faire ça. Qu'ils se fassent entendre d'une autre manière.
« Peuple impopulaire » se sert d'un texte de Victor Hugo pour parler des banlieues en feu...
On était à Montreuil en studio. À 400 mètres de Paris, t'es dans un autre monde. Au départ, je ne savais pas ce qu'il fallait en penser. C'est Amanda qui m'a dit qu'il fallait aller voir ailleurs. J'ai pensé à la Commune et là, en lisant Hugo, c'était sidérant. Léo Ferré l'a fait sur des plages plus longues. C'était intéressant de reprendre des mots qui sont extrêmement forts quand ils ont 135 ans et que l'histoire se répète. Hugo était un visionnaire.
À part les rappeurs, les artistes se sont peu manifestés, alors que la France flambait...
Je pense que la plupart n'ont pas participé au débat car ils s'interrogeaient. Ils ne savaient pas quelle attitude adopter. C'est un héritage de trente ans, le problème des banlieues. C'est la soupière qui explose. Tomber aujourd'hui sur le ministre de l'Intérieur, c'est grotesque. Il hérite d'une situation à laquelle il doit faire face. Avec plus ou moins d'habileté dans le propos.
À ce propos, Sarkozy tente de se rapprocher des artistes...
Tous les hommes politiques ont toujours fait ça. Là, on assiste à un joli « remue-manège », comme je le dis dans le disque. Je ne participerai d'aucune façon à la campagne présidentielle sauf en cas de danger.
Votre album est celui d'un homme amoureux de sa femme et de ses jeunes enfants...
Amanda et moi, on cherche à rester discrets. Elle a déjà écrit deux livres, sous son nom, Amanda Sthers, une autobiographie, Ma place sur la photo, et puis Chicken street, chez Grasset. Elle a eu des critiques dithyrambiques. C'est vrai que dans ce disque, on se met fort en avant, mais avec pudeur. Je n'irai pas avec les enfants sur les plateaux télé. On voit Oscar un moment dans le DVD. Il a deux ans et demi.
C'est l'album du bonheur...
Oui, quand tu deviens père, tu ressens de nouvelles sensations. Tu n'as jamais aimé et été aimé autant. Et ça va avec la peur constante pour l'enfant. Ce n'est jamais un bonheur béat. L'album aurait pu s'appeler Espoir et inquiétude.
Des souvenirs devant... de Patrick Bruel paraît le 20 mars chez Sony BMG."
Source: lesoir.be